jeudi 18 juin 2015

La guerre obsessionnelle



L'Etat est plus que jamais obsédé par la vitesse au volant, seule cause à ses yeux de tous les maux routier. Quitte à en devenir franchement absurde

L’Etat ne parvient pas toujours à éviter l’absurde, c’est le moins qu’on puisse dire. Surtout lorsqu’il se met en tête de réprimer aveuglément et, parfois même, au mépris de certaines libertés que nous offre la Constitution. Le ministre de l’intérieur ne vient-il pas d’établir, sans rire, un parallèle entre la lutte contre la délinquance routière et … la lutte contre le terrorisme ? La sécurité, soit. Mais l’outrance répressive, certainement non, tant il est avéré que le mieux est l’ennemi du bien. 

En matière de circulation routière et de droit routier, c’est un fait : plus les automobilistes entendent se protéger, au moyen de boucliers plus ou moins efficaces d’ailleurs, et plus les pouvoirs publics affûtent leurs épées en rétorsion. Il s’agit là d’une guerre d’usure, « d’attrition » diraient les Anciens, sans cesse renouvelée au gré des mesures et contre-mesures.

Qui ne se souvient, hier encore, de la guerre picrocholine qui opposa les pouvoirs publics à ceux qui entendaient se doter de dispositifs de détection des radars de vitesse ? L’Etat avait alors employé l’arme nucléaire pour réprimer ce genre d’infraction, à savoir l’article R. 413-15 du Code de la route punissant indistinctement d’une contravention de 5ème classe la mise en vente, la simple détention, de même que l’usage ou le transport des appareils destinés à perturber le fonctionnement des appareils de contrôle de la vitesse. Bien sûr, la jurisprudence a fait des variations sur la portée de cet article, selon que les appareils incriminés visaient manifestement à détecter ou à perturber les dispositifs de contrôle ou selon que ces mêmes appareils jouaient un rôle objectif d’« avertisseurs de radars » ou d’aide à la conduite par l’information du conducteur.

Désormais, avec le développement des technologies, le débat s’est prolongé sur le terrain des réseaux sociaux qui peuvent tout aussi objectivement avoir une fonction d’avertisseur en temps réel, tout en permettant de surcroît une interactivité bénéfique au contrevenant. Les pouvoirs publics sont donc repartis à l’assaut, compte tenu toutefois de ce que le morceau était cette fois beaucoup plus difficile à avaler. Les tribunaux, notamment le tribunal correctionnel de Rodez, a donné raison à l’Etat en considérant, dans un jugement du 3 décembre 2014, que le fait d’informer les autres usagers de la route de la présence de radars et des contrôles de police, en utilisant un réseau social, constituait une infraction à la loi pénale.

Soit mais alors pourquoi ce même tribunal s’est donné le ridicule de relaxer de ce chef de prévention les membres d’une page locale opportunément intitulée « Le groupe qui te dit où est la police en Aveyron » ?

Quoiqu’il en soit, l’affaire de Rodez se trouve aujourd’hui en appel devant la Cour d’appel de Montpellier. Dans quel sens jugera la Cour ? Nul ne le sait encore. Et pendant ce temps, contrairement à ce que croient beaucoup de conducteurs, le fait d’avertir par des appels de phare appropriés le  véhicule circulant en sens inverse de la présence imminente des forces de l’ordre, ne constitue pas une infraction. Logique, logique …

mardi 2 juin 2015

Pavlov et la sécurité routière



En France, la sécurité routière semble fonctionner à la manière d'un réflexe conditionné : quelles que soient les circonstances et comme le chien de Pavlov, elle brandit l'arme de la répression.

Plus ça change et plus c’est la même chose. Les chiffres de la sécurité routière montrent-ils une baisse de la mortalité sur les voies publiques de France et de Navarre ? Les responsables de la sécurité ne manquent pas d’en attribuer aussitôt tout le mérite aux dispositifs répressifs dont ils n’ont cessé d’accroître le déploiement au cours de ces dernières années, à force de ténacité et d’imagination coercitives. 

Mais quand bien même ces chiffres repartiraient à la hausse, le discours officiel resterait à peu près le même : à savoir qu’il reste encore beaucoup à faire en matière de répression, en démultipliant les radars routiers par exemple ou en accentuant les procédures automatisées de verbalisation. Le tout, est-il besoin de le préciser, au détriment d’une pédagogie pourtant nécessaire et, surtout, au mépris des droits des automobilistes qui sont de plus en plus ouvertement piétinés. 

Plus que jamais, le « tout-répressif » règne en maître. En d’autres termes, que la mortalité routière augmente ou qu’elle baisse, la réponse sera invariablement identique, tel un réflexe pavlovien désormais bien rodé. Il se trouve qu’en 2014, et après une douzaine d’années de baisse consécutive, a été enregistrée une augmentation de près de 3 400 tués sur nos routes. Nullement fortuite, cette hausse s’est confirmée au cours des premiers mois de 2015 (+ 3,5 %). Elle est d’autant plus grave que dans le reste de l’Europe, les chiffres de mortalité s’orientent plutôt à la baisse.

Bien plus qu’un simple événement, il s’agit là d’une tendance qui, en théorie, devrait interpeler les pouvoirs publics. Las, l’interpellation a fait long feu et semble préférer, en ce domaine comme en d'autres, les stratégies commodes faites de mesures cosmétiques plutôt que les remises en cause structurelles. Il s’est ainsi trouvé d’inénarrables experts pour nous expliquer que ce dernier bilan calamiteux serait dû à des conditions météorologiques défavorables. La rigueur de la froidure hivernale ? Ou alors le réchauffement climatique ? On ne sait plus trop bien si ce n’est que le sujet est très tendance au moment où la France s'apprête à accueillir dans quelques mois la 21ème conférence internationale sur le climat …

En tout cas, ces gadgets explicatifs dispensent leurs auteurs de s’interroger sur les raisons de fond et, notamment, sur le bien-fondé de notre politique de sécurité routière. Une politique dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle pèche en permanence par son manque de cohérence. A preuve, les dernières mesures en date annoncées par le ministre de l’intérieur dont le caractère « fourre-tout » n’aura échappé à personne : de nouveaux radars sur nos routes bien sûr, encore plus sophistiqués si possible que leurs devanciers, un taux toléré d’alcoolémie revu à la baisse (de 0,5 à 0,2 g/l) pour les conducteurs novices, l’interdiction du téléphone au volant au moyen d’oreillettes (et le blue tooth ?)

Ah oui, M. Cazeneuve a également exigé d’avoir une meilleure connaissance des causes des accidents ainsi qu’une remontée d’informations plus précises des forces de l’ordre intervenant sur les lieux des accidents. Pourquoi donc une telle exigence ? Serait-ce que, d’aventure, la maréchaussée se contenterait de cocher systématiquement la case « vitesse excessive » en cas d'accident, sachant qu’elle ne serait pas désavouée par leurs hauts responsables ? Et d’ailleurs, en bonne logique, la politique de sécurité routière ne devrait-elle pas être fixée en fonction de tels éclaircissements sur les causes accidentogènes et non a priori ? Place Beauvau et à Matignon, on préfère faire les choses à l'envers : on prend des mesures, avec tous les effets d'annonce nécessaires bien évidemment, avant de procéder aux analyses dont sont censées procéder ces mesures ...

Une chose paraît en tout cas acquise : ce n’est pas en persévérant de la sorte que la France améliorera son bilan routier. La baisse du taux légal de l’alcoolémie pour les plus jeunes ? Pourquoi pas mais quand se mettra-t-on enfin à s’interroger sur la tolérance zéro qui semblerait pourtant la plus cohérente, la plus conforme à la sécurité publique et, d’ailleurs, la plus simple à appliquer ? De même quand se mettra-t-on, au risque de passer pour ringard, à mener une politique de répression efficace contre l’usage de la drogue ? Ne rêvons pas, à l’heure où vont être installées à Paris et ailleurs des salles de shoot, la répression envers la drogue s'identifie trop commodément, pour certains, à une répression "anti-jeunes". Et pourtant, les délits relatifs à l’usage des stupéfiants ont fait un bond de plus de 44% au cours de l’année écoulée, tandis que la drogue est désormais en cause dans près d’un accident mortel sur quatre !

Comment, enfin, pourrait-on passer sous silence l’augmentation spectaculaire de délits routiers tels que les délits de fuite, les défauts d’assurance et surtout les défauts de permis de conduire ? Relâchement généralisé des automobilistes sur la route, tranchent d’instinct nos experts impavides. Que l’explication soit plutôt courte ne semble pas les déranger outre mesure. Et pourtant, là encore, n’y aurait-il pas lieu de réfléchir sur la pertinence du système répressif de retraits de points qui, pour le moins, ne permet pas à lui seul d’améliorer durablement les comportements des conducteurs ?

Mais autant prêcher dans le désert. Réactivé à grands coups de clairon en 2012, le Conseil national de la sécurité routière a vu, depuis lors, plus d’un de ses membres en claquer la porte, découragés par un amateurisme et par la tentation d’instrumentaliser à des fins politiques une instance dont la vocation première est bien la neutralité technique. Nul doute que, lorsque sonnera la cloche d’un prochain bilan routier, nos si brillants experts et responsables, tel le célèbre chien de Pavlov, viendront inévitablement, chiffres à l’appui, plaider en faveur d’une répression accrue.