En France, la sécurité routière semble fonctionner à la manière d'un réflexe conditionné : quelles que soient les circonstances et comme le chien de Pavlov, elle brandit l'arme de la répression.
Plus ça change et plus
c’est la même chose. Les chiffres de la sécurité routière montrent-ils une baisse
de la mortalité sur les voies publiques de France et de Navarre ? Les
responsables de la sécurité ne manquent pas d’en attribuer aussitôt tout le
mérite aux dispositifs répressifs dont ils n’ont cessé d’accroître le
déploiement au cours de ces dernières années, à force de ténacité et d’imagination
coercitives.
Mais quand bien même ces chiffres
repartiraient à la hausse, le discours officiel resterait à peu près le même :
à savoir qu’il reste encore beaucoup à faire en matière de répression, en démultipliant les radars routiers par exemple ou en accentuant les procédures
automatisées de verbalisation. Le tout, est-il besoin de le préciser, au
détriment d’une pédagogie pourtant nécessaire et, surtout, au mépris des droits des
automobilistes qui sont de plus en plus ouvertement piétinés.
Plus que jamais, le « tout-répressif »
règne en maître. En d’autres termes, que la mortalité routière augmente ou qu’elle
baisse, la réponse sera invariablement identique, tel un réflexe pavlovien
désormais bien rodé. Il se trouve qu’en 2014, et après une douzaine d’années de
baisse consécutive, a été enregistrée une augmentation de près de 3 400 tués
sur nos routes. Nullement fortuite, cette hausse s’est confirmée au cours des
premiers mois de 2015 (+ 3,5 %). Elle est d’autant plus grave que dans le reste
de l’Europe, les chiffres de mortalité s’orientent plutôt à la baisse.
Bien plus qu’un simple
événement, il s’agit là d’une tendance qui, en théorie, devrait interpeler les
pouvoirs publics. Las, l’interpellation a fait long feu et semble préférer, en ce domaine comme en d'autres, les stratégies commodes faites de mesures cosmétiques
plutôt que les remises en cause structurelles. Il s’est ainsi trouvé d’inénarrables
experts pour nous expliquer que ce dernier bilan calamiteux serait dû à des conditions
météorologiques défavorables. La rigueur de la froidure hivernale ? Ou alors le
réchauffement climatique ? On ne sait plus trop bien si ce n’est que le
sujet est très tendance au moment où la France s'apprête à accueillir dans quelques mois la
21ème conférence internationale sur le climat …
En tout cas, ces
gadgets explicatifs dispensent leurs auteurs de s’interroger sur les raisons de
fond et, notamment, sur le bien-fondé de notre politique de sécurité routière.
Une politique dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle pèche en permanence
par son manque de cohérence. A preuve, les dernières mesures en date annoncées par le
ministre de l’intérieur dont le caractère « fourre-tout » n’aura
échappé à personne : de nouveaux radars sur nos routes bien sûr, encore
plus sophistiqués si possible que leurs devanciers, un taux toléré d’alcoolémie
revu à la baisse (de 0,5 à 0,2 g/l) pour les conducteurs novices, l’interdiction
du téléphone au volant au moyen d’oreillettes (et le blue tooth ?)
Ah oui, M. Cazeneuve a
également exigé d’avoir une meilleure connaissance des causes des accidents
ainsi qu’une remontée d’informations plus précises des forces de l’ordre
intervenant sur les lieux des accidents. Pourquoi donc une telle exigence ? Serait-ce que, d’aventure, la maréchaussée se contenterait de cocher
systématiquement la case « vitesse excessive » en cas d'accident, sachant qu’elle ne
serait pas désavouée par leurs hauts responsables ? Et d’ailleurs, en
bonne logique, la politique de sécurité routière ne devrait-elle pas être fixée
en fonction de tels éclaircissements sur les causes accidentogènes et non a
priori ? Place Beauvau et à Matignon, on préfère faire les choses à l'envers : on prend des mesures, avec tous les effets d'annonce nécessaires bien évidemment, avant de procéder aux analyses dont sont censées procéder ces mesures ...
Une chose paraît en
tout cas acquise : ce n’est pas en persévérant de la sorte que la France améliorera
son bilan routier. La baisse du taux légal de l’alcoolémie pour les plus jeunes ?
Pourquoi pas mais quand se mettra-t-on enfin à s’interroger sur la tolérance zéro qui semblerait
pourtant la plus cohérente, la plus conforme à la sécurité publique et, d’ailleurs,
la plus simple à appliquer ? De même quand se mettra-t-on, au risque de
passer pour ringard, à mener une politique de répression efficace contre l’usage
de la drogue ? Ne rêvons pas, à l’heure où vont être installées à Paris et
ailleurs des salles
de shoot, la répression envers la drogue s'identifie trop commodément, pour certains, à une répression "anti-jeunes". Et pourtant, les délits relatifs à l’usage des stupéfiants ont fait
un bond de plus de 44% au cours de l’année écoulée, tandis que la drogue est
désormais en cause dans près d’un accident mortel sur quatre !
Comment, enfin,
pourrait-on passer sous silence l’augmentation spectaculaire de délits routiers
tels que les délits de fuite, les défauts d’assurance et surtout les défauts de
permis de conduire ? Relâchement généralisé des automobilistes sur la
route, tranchent d’instinct nos experts impavides. Que l’explication soit plutôt
courte ne semble pas les déranger outre mesure. Et pourtant, là encore, n’y
aurait-il pas lieu de réfléchir sur la pertinence du système répressif de
retraits de points qui, pour le moins, ne permet pas à
lui seul d’améliorer durablement les comportements des conducteurs ?
Mais autant prêcher
dans le désert. Réactivé à grands coups de clairon en 2012, le Conseil national de la sécurité routière a
vu, depuis lors, plus d’un de ses membres en claquer la porte, découragés par un amateurisme et par la tentation d’instrumentaliser à des fins politiques une instance
dont la vocation première est bien la neutralité technique. Nul doute que,
lorsque sonnera la cloche d’un prochain bilan routier, nos si brillants experts
et responsables, tel le célèbre chien de Pavlov, viendront inévitablement, chiffres à l’appui,
plaider en faveur d’une répression accrue.
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