lundi 27 avril 2015

Fausse bonne idée



Les automobilistes doivent se méfier des fausses bonnes idées. Celles-ci n'ont le plus souvent qu'une durée de vie limitée car l'administration ne reste pas inerte.
C’est au fond le sempiternel combat entre le bouclier et l’épée. D’un côté, l’administration, dont l’imagination en ce domaine est à proportion de l’étranglement budgétaire de l’Etat, s’ingénie à traquer les automobilistes en les assujettissant à des amendes et des sanctions toujours plus sévères tout en ne manquant pas de stigmatiser au passage leur manque de civisme.

D’un autre côté, les automobilistes cherchant à s’affranchir, quoi qu’il leur en coûte, de leur statut de proie désignée ou de vache à lait. Là aussi, l’imagination est souvent au rendez-vous mais il apparaît que certaines « bonnes idées » sont un peu trop vite érigées, le bouche à oreille jouant son rôle de légitimation, en martingale infaillible. On connaissait la soi-disant parade consistant à éviter de se voir retirer son permis en se dotant d’un permis étranger : Côte d’Ivoire, Algérie, Bosnie, etc. Désormais, la manœuvre est quasi éventée. Seuls les naïfs peuvent encore espérer échapper à la sanction suprême en minimisant l’étroitesse de la marge de manœuvre et en ignorant que la justice comme la police connaissent depuis longtemps la soi-disant recette.

Aujourd’hui, on a un autre cas de figure : celui de l’automobiliste d’Orléans qui a cru pouvoir passer à travers les mailles du filet en faisant immatriculer ses deux véhicules au nom de son fils mineur. Entre novembre 2007 et mars 2013, il a ainsi accumulé pas moins de 131 contraventions pour stationnement illicite. Mal lui en a pris puisque la Cour d’appel d’Orléans l’a condamné à s’acquitter de l’intégralité de ses contraventions. Courroucée par la désinvolture par laquelle le prévenu avait snobé l’audience, la juridiction a même décidé de porter le montant unitaire de ces contraventions de 33 à 38 euros. Résultat : une note salée de 5 138 euros à la charge de cet automobiliste sans doute un peu trop confiant dans sa fausse bonne idée.

Et pourtant ! L’affaire n’était pas a priori absurde. Il existe, en effet, une faille juridique avec l’arrêté du 9 février 2009 qui dispose en son article 2 que le certificat d’immatriculation, tel qu’il est visé par l’article R. 322-2 du Code de la route, peut légalement être établi au nom d’un mineur. Dans ce cas précis, la demande d’immatriculation doit être signée par la personne ou l’institution investie de l’autorité parentale ou du droit de garde. Par ailleurs, le mineur émancipé doit apporter la preuve de son émancipation. Certes, cet arrêté de 2009 a été modifié ultérieurement par deux autres arrêtés (en date des 12 avril 2012 et 19 décembre 2013 respectivement) sans que la disposition relative à l’immatriculation d’un véhicule au nom d’un mineur – comme, d’ailleurs, au nom d’une personne morale – soit remise en cause.

Or, lorsque l’infraction routière est constatée en dehors de toute interpellation sur la voie publique - auquel cas c’est au conducteur du véhicule fautif (qu’il soit propriétaire ou non du véhicule, ou détenteur ou non du certificat d’immatriculation) qu’est directement dressée la contravention - c’est au possesseur du certificat d’immatriculation qu’est adressée la contravention : tel est notamment le cas pour les infractions au stationnement ou celles constatées par système automatisé (radar de vitesse ou radar de feu tricolore) pour lesquelles on ne peut préjuger de l’auteur véritable de l’infraction.

Si le détenteur du certificat d’immatriculation est un mineur, on ne peut évidemment lui retirer des points de permis et, à plus forte raison, le priver d’un titre de conduite dont il n’a jamais été détenteur. En revanche, s’agissant des amendes pécuniaires, celles-ci sont directement adressées au titulaire de ce certificat. A ce stade, deux thèses s’affrontent : l’une soutient que l’action publique ne peut prospérer, compte tenu de ce qu’une personne mineure est insolvable par nature ; l’autre considère que le fait d’établir un certificat d’immatriculation au nom d’une personne mineure, représente un moyen détourné mis en œuvre par un tiers afin d’échapper à une sanction : étant entendu que le responsable l’infraction ne peut être, par définition, le mineur mais bien l’auteur réel de l’infraction vis-à-vis de laquelle le mineur aura joué un rôle de paravent. Dans le cas d’espèce d’Orléans, l’auteur ne pouvait être que le parent du mineur qui s’est acquitté du prix du véhicule en cause.

C’est en tout cas en ce sens qu’a tranché la justice dans l’attente d’une contre-parade plus élaborée en provenance du ministère de l’intérieur. Celle-ci ne devrait d’ailleurs pas tarder, le ministre envisageant d’ores et déjà de réviser l’arrêté de février 2009 dans le sens où il faudrait être détenteur d’un permis de conduire en cours de validité pour être autorisé à faire immatriculer un véhicule.

Un verrou semble donc se fermer mais le dernier mot est encore loin d’avoir été        dit. La lutte entre le bouclier et l'épée continue donc …

lundi 20 avril 2015

Faire du chiffre … plus que jamais



La sanction du non-respect de la distance de sécurité est une trouvaille aussi vicieuse qu’inapplicable en pratique. Il n’empêche qu’elle rapporte à l’Etat.

On l’a déjà répété ici à maintes reprises : la politique de sécurité routière des pouvoirs publics est largement brouillée voire dévoyée par une vision délibérément répressive qui vise davantage à remplir les caisses de l’Etat qu’à garantir l’intégrité des personnes. 

Dernier exemple en date, celui d’un taxi qui s’est fait verbaliser sur le périphérique parisien pour non-respect de la distance de sécurité. Au passage, les familiers du périph’ savent bien qu’il est perpétuellement encombré dans la journée, à tel point que les véhicules s’y traînent la plupart du temps dans les bouchons et ralentissements, parechoc contre parechoc. Dans ces conditions, le grief tiré du défaut de « distance de sécurité » relève du gag absolu … à moins qu’il ne s’agisse de la frustration exaspérée de certains policiers pour n’avoir pu enregistrer à leur bilan de performance infractionnelle un excès de vitesse.

Mais revenons sur cette fameuse trouvaille contraventionnelle qui remonte à une quinzaine d’années et – est-il besoin de le préciser ? – ne s’applique qu’en France. A l’époque, sa légitimité était censée provenir des dégâts provoqués par les collisions en chaîne sur les autoroutes, qui représentaient 36% des accidents corporels et 27% des tués. La conclusion qui en fut tirée se voulait  limpide : dans plus d’un cas sur deux, l’insuffisance de la distance de sécurité était regardée comme la cause principale de ce type d’accident. Trop limpide sans doute pour refléter pleinement la réalité et ne pas apparaître simpliste. 

Au fond, il en va de la distance de sécurité comme de la vitesse au volant. Ce sont des paravents technocratiques bien commodes, et bien lucratifs, qui permettent d’occulter d’autres types de cause bien plus difficiles à combattre comme l’inattention voire l’incivilité. Toujours le même réflexe : si une voiture percute un arbre, il faut éradiquer le végétal ; si une voiture en percute une autre, il faut les éloigner l’une de l’autre. Et si l’on supprimait carrément les véhicules ? Je fais ici le pari que le pourcentage d’accidents diminuerait sacrément !

Oui, mais voilà : une politique de sécurité routière ne se fait pas à coups de fausses lapalissades. A cet égard, le cas de la « distance de sécurité » est significatif. Rappelons les dispositions de l’article R. 412-12 du Code de la route qui prévoient, lorsque les deux véhicules se suivent, le maintien par le second d’une « distance de sécurité suffisante » pour pouvoir éviter une collision en cas de ralentissement brusque ou d’arrêt subit du véhicule de tête. C’est quoi au juste une « distance de sécurité suffisante » ? Ce même article répond imperturbablement : celle parcourue par le véhicule pendant un délai d’au moins deux secondes …

C’est d’ailleurs là où l’affaire se complique car, à l’instar de toute autre matière du droit routier ou d’ailleurs du droit tout court, on ne saurait se satisfaire d’approximations ou d’appréciations subjectives, émaneraient-elles d’agents assermentés de la force publique. Il faut impérativement qu’existe une preuve tangible et vérifiable, sauf à entrer dans le domaine du n’importe quoi ou, plus précisément, de celui de la « tête du client ».

Or, on ne sache pas que nos braves policiers ou gendarmes, tout à leur traque du « délinquant routier », soient munis de chronomètres par leurs administrations respectives qui n’ont plus désormais le moindre sou vaillant. Comment font-ils alors pour vérifier l’infraction : ad nauseam, sur une impression fugace ? Ou alors en repérant un taxi, proie facile, ou un véhicule de luxe, symbole d’une arrogance derrière laquelle se dissimulerait déjà l’infraction ? On ne sait trop et tel est bien le problème. Et dire que l’administration avait cru faire simple en décidant que les distances minimum observables par les automobilistes ne s’exprimeraient plus en mètres mais en temps réel !

Du reste, afin d’éviter toute ambiguïté, les pouvoirs publics, dans leur fièvre réglementaire, avaient édicté par décret un tableau de correspondance entre la vitesse du véhicule et la distance de sécurité : 28 mètres pour 50 km/h, 50 mètres pour 90 km/h, etc. Dans le cas de notre contrevenant du périphérique, la vitesse étant limitée à 70 km/h, il conviendrait de tabler sur une distance minimale de l’ordre de 39 mètres. A qui va-t-on faire croire que les véhicules parisiens peuvent sensément s’en tenir à cette règle surréaliste ? Comment d’ailleurs ceux qui sont de bonne foi peuvent-ils concrètement l’apprécier ? Bien malin est le conducteur capable d’évaluer une distance d’une quarantaine de mètres entre son véhicule et celui qui le précède.

Tout est question de bon sens. Or, dans notre pays hyper-procédurier où certains estiment que tout est sujet à réglementation, interdiction et sanction, il fallait bien que l’on invente une nouvelle infraction qui ressemble à s’y méprendre à un piège vicieux. En cette matière, il ne devrait y avoir que deux types de comportement : le chauffard ou le fou furieux qui colle, par bravade, défi ou énervement quelconque, au parechoc du véhicule qui le précède et peut être facilement sanctionné pour conduite dangereuse caractérisée ; et le conducteur moyen qui circule tranquillement (70km/h maximum : est-ce là une vitesse démentielle ?) et, distance ou pas, il faut le laisser tranquille.

Décidément, dans son obsession répressive, notre administration ignore le simple bon sens. Il n’empêche que l’article 412-12 prévoit au passage une amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ainsi qu’un retrait de trois points du permis. De quoi rendre pécuniairement réelle une mesure proprement surréaliste.

mercredi 8 avril 2015

L’arbre qui cache la forêt ?



La nouvelle lubie de nos experts en sécurité routière : les platanes, en bordure de nos routes, constitueraient un danger pour les automobilistes. Faut-il en rire ou en pleurer ?

L’histoire rappelle un vieux film des Marx Brothers : le tabouret du musicien étant trop éloigné du piano, Groucho s’échine à rapprocher … le piano.

On y est presque aujourd’hui avec cette nouvelle « réflexion » sur la « lutte contre la violence routière », ainsi qu’il est convenu d’appeler désormais ce que naguère on dénommait bien innocemment l’amélioration de la sécurité sur nos routes. Mais il faut faire fort, marquer sa détermination, « donner des signaux » comme on dit de nos jours et surtout, rassurer les sacro-saintes « associations » (sous-entendu les bonnes, celles qui vénèrent le principe de précaution jusqu’à l’absurde, pas ces associations d’automobilistes qui sont tenues pour de nouvelles ligues fascistes). 

Le grotesque, on le sait, n’en a jamais effrayé certains. On s’y ébroue aujourd’hui allègrement avec cette proposition/projet/hypothèse/piste de recherche à l’attention des collectivités locales, consistant à dénoncer un nouveau facteur accidentogène : l’arbre. Eh oui, il fallait y penser ! Les platanes qui bordent certaines de nos routes ne seraient rien moins que des ennemis contre lesquels il faudrait se prémunir ou encore, pour mieux dire, se gendarmer.

Un ennemi singulièrement chafouin, qui sait si bien se fondre dans le décor, s’allier l’esthétique et se dissimuler derrière l’alibi de la longévité. Quelques-uns de nos platanes, en effet, n’étaient-ils pas déjà là au temps de Louis XIV ? Mais qu’importe, il faut ce qu’il faut quand on se targue de modernité !

Il faut cependant être équitable. Cela fait déjà bien longtemps que le platane est devenu un « marronnier » si l’on ose dire, à savoir un de ces sujets qui resurgissent invariablement tel le serpent de mer. Il y a quelques années, Jean Glavany, alors ministre de l’agriculture, désignait déjà les platanes comme un « danger public ». La présidente de l’Asppar (Association pour la protection des arbres en bord de routes) Chantal Fauché (cela ne s’invente pas) était alors au bord de la crise de nerfs. Avec les intentions actuelles de Manuel Valls, nul doute qu’elle devra bientôt repiquer au Lexomyl

Le dernier argument en date ? En 2013, 326 personnes seraient mortes après avoir percuté un arbre, soit 10% du total des tués sur nos routes. Ce n’est pas rien, il est vrai. Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, un arbre, quelle que soit sa variété, est un corps inerte … de même que les pylônes électriques, les poteaux de signalisation, les murets de pierre, les glissières métalliques, ou encore les véhicules stationnés. Plus du tiers des accidents mortels sur nos voies impliquent ainsi des obstacles fixes. Faut-il aussi bien interdire ces obstacles objectifs au motif qu’ils mettraient en péril nos automobilistes ? Faudra-t-il également, une fois tout obstacle intempestif éradiqué, pratiquer des zones de sécurité d’une vingtaine de mètres de chaque côté des chaussées, quitte à transformer celles-ci en circuits de Formule 1 ?

Encore une fois, on prend le problème de la sécurité routière à l’envers à force de chausser la lorgnette idéologique ou/et démagogique au détriment de la simple logique. Après tout, objecterait le simple bon sens, si un automobiliste percute un platane, ce n’est pas la faute de l’arbre implanté à cet endroit mais bien celle du véhicule qui aura pu avoir une défaillance mécanique ou, plus sûrement encore, la responsabilité du conducteur qui n’aura pu ou su rester maître de son véhicule. Dans la tragique affaire de l’Airbus de la Lufthansa, se serait-on donné le ridicule d’accuser la montagne de s’être trouvée là au moment du crash fatal ?

Mais rien n’arrête décidément nos forcenés du cocooning social extrême : 30km/h dans nos agglomérations, quasi interdiction des véhicules dans les centre-ville, éradication des végétaux au bord de nos routes. Qu’est-ce qui émergera demain de leur imagination technocratique sans limite ? Où s'arrêtera-t-on ? On n’ose y songer. Aura-t-on dit à ces beaux esprits qu’une route absolument dégagée, de même qu’une vitesse excessivement basse, est plutôt de nature à endormir la vigilance des automobilistes ? Leur aura-t-on objecté que les arbres, loin de représenter un danger, peuvent permettre au contraire de mieux appréhender la route en fournissant des repères de distance ou de vitesse, et en rendant son tracé globalement plus lisible ?

Il est vrai que de telles considérations présentent l’inconvénient de rendre la réflexion beaucoup plus sophistiquée et contradictoire. Le simplisme est tellement moins fatigant !