La
sanction du non-respect de la distance de sécurité est une trouvaille aussi vicieuse
qu’inapplicable en pratique. Il n’empêche qu’elle rapporte à l’Etat.
On l’a déjà répété ici
à maintes reprises : la politique de sécurité routière des pouvoirs
publics est largement brouillée voire dévoyée par une vision délibérément répressive
qui vise davantage à remplir les caisses de l’Etat qu’à garantir l’intégrité
des personnes.
Dernier exemple en
date, celui d’un taxi qui s’est fait verbaliser sur le périphérique parisien
pour non-respect de la distance de sécurité. Au passage, les familiers du périph’ savent bien qu’il est
perpétuellement encombré dans la journée, à tel point que les véhicules s’y traînent
la plupart du temps dans les bouchons et ralentissements, parechoc contre parechoc.
Dans ces conditions, le grief tiré du défaut de « distance de sécurité »
relève du gag absolu … à moins qu’il ne s’agisse de la frustration exaspérée de
certains policiers pour n’avoir pu enregistrer à leur bilan de performance
infractionnelle un excès de vitesse.
Mais revenons sur cette
fameuse trouvaille contraventionnelle qui remonte à une quinzaine d’années et –
est-il besoin de le préciser ? – ne s’applique qu’en France. A l’époque, sa
légitimité était censée provenir des dégâts provoqués par les collisions en
chaîne sur les autoroutes, qui représentaient 36% des accidents corporels et
27% des tués. La conclusion qui en fut tirée se voulait limpide : dans plus d’un cas sur deux, l’insuffisance
de la distance de sécurité était regardée comme la cause principale de ce type
d’accident. Trop limpide sans doute pour refléter pleinement la réalité et ne
pas apparaître simpliste.
Au fond, il en va de la
distance de sécurité comme de la vitesse au volant. Ce sont des paravents technocratiques
bien commodes, et bien lucratifs, qui permettent d’occulter d’autres types de
cause bien plus difficiles à combattre comme l’inattention voire l’incivilité.
Toujours le même réflexe : si une voiture percute un arbre, il faut éradiquer
le végétal ; si une voiture en percute une autre, il faut les éloigner l’une
de l’autre. Et si l’on supprimait carrément les véhicules ? Je fais ici le
pari que le pourcentage d’accidents diminuerait sacrément !
Oui, mais voilà :
une politique de sécurité routière ne se fait pas à coups de fausses lapalissades.
A cet égard, le cas de la « distance de sécurité » est significatif.
Rappelons les dispositions de l’article R. 412-12 du Code de la route qui
prévoient, lorsque les deux véhicules se suivent, le maintien par le second d’une
« distance de sécurité suffisante » pour pouvoir éviter une collision
en cas de ralentissement brusque ou d’arrêt subit du véhicule de tête. C’est
quoi au juste une « distance de sécurité suffisante » ? Ce même
article répond imperturbablement : celle parcourue par le véhicule pendant
un délai d’au moins deux secondes …
C’est d’ailleurs là où
l’affaire se complique car, à l’instar de toute autre matière du droit routier
ou d’ailleurs du droit tout court, on ne saurait se satisfaire d’approximations
ou d’appréciations subjectives, émaneraient-elles d’agents assermentés de la
force publique. Il faut impérativement qu’existe une preuve tangible et
vérifiable, sauf à entrer dans le domaine du n’importe quoi ou, plus
précisément, de celui de la « tête du client ».
Or, on ne sache pas que
nos braves policiers ou gendarmes, tout à leur traque du « délinquant
routier », soient munis de chronomètres par leurs administrations
respectives qui n’ont plus désormais le moindre sou vaillant. Comment font-ils
alors pour vérifier l’infraction : ad
nauseam, sur une impression fugace ? Ou alors en repérant un taxi,
proie facile, ou un véhicule de luxe, symbole d’une arrogance derrière laquelle
se dissimulerait déjà l’infraction ? On ne sait trop et tel est bien le
problème. Et dire que l’administration avait cru faire simple en décidant que
les distances minimum observables par les automobilistes ne s’exprimeraient
plus en mètres mais en temps réel !
Du reste, afin d’éviter
toute ambiguïté, les pouvoirs publics, dans leur fièvre réglementaire, avaient
édicté par décret un tableau de correspondance entre la vitesse du véhicule et
la distance de sécurité : 28 mètres pour 50 km/h, 50 mètres pour 90 km/h,
etc. Dans le cas de notre contrevenant du périphérique, la vitesse étant
limitée à 70 km/h, il conviendrait de tabler sur une distance minimale de l’ordre
de 39 mètres. A qui va-t-on faire croire que les véhicules parisiens peuvent
sensément s’en tenir à cette règle surréaliste ? Comment d’ailleurs ceux
qui sont de bonne foi peuvent-ils concrètement l’apprécier ? Bien malin
est le conducteur capable d’évaluer une distance d’une quarantaine de mètres
entre son véhicule et celui qui le précède.
Tout est question de
bon sens. Or, dans notre pays hyper-procédurier où certains estiment que tout
est sujet à réglementation, interdiction et sanction, il fallait bien que l’on
invente une nouvelle infraction qui ressemble à s’y méprendre à un piège vicieux.
En cette matière, il ne devrait y avoir que deux types de comportement :
le chauffard ou le fou furieux qui colle, par bravade, défi ou énervement
quelconque, au parechoc du véhicule qui le précède et peut être facilement
sanctionné pour conduite dangereuse caractérisée ; et le conducteur moyen
qui circule tranquillement (70km/h maximum : est-ce là une vitesse
démentielle ?) et, distance ou pas, il faut le laisser tranquille.
Décidément, dans son
obsession répressive, notre administration ignore le simple bon sens. Il n’empêche
que l’article 412-12 prévoit au passage une amende prévue pour les
contraventions de la quatrième classe ainsi qu’un retrait de trois points du
permis. De quoi rendre pécuniairement réelle une mesure proprement surréaliste.
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