lundi 20 avril 2015

Faire du chiffre … plus que jamais



La sanction du non-respect de la distance de sécurité est une trouvaille aussi vicieuse qu’inapplicable en pratique. Il n’empêche qu’elle rapporte à l’Etat.

On l’a déjà répété ici à maintes reprises : la politique de sécurité routière des pouvoirs publics est largement brouillée voire dévoyée par une vision délibérément répressive qui vise davantage à remplir les caisses de l’Etat qu’à garantir l’intégrité des personnes. 

Dernier exemple en date, celui d’un taxi qui s’est fait verbaliser sur le périphérique parisien pour non-respect de la distance de sécurité. Au passage, les familiers du périph’ savent bien qu’il est perpétuellement encombré dans la journée, à tel point que les véhicules s’y traînent la plupart du temps dans les bouchons et ralentissements, parechoc contre parechoc. Dans ces conditions, le grief tiré du défaut de « distance de sécurité » relève du gag absolu … à moins qu’il ne s’agisse de la frustration exaspérée de certains policiers pour n’avoir pu enregistrer à leur bilan de performance infractionnelle un excès de vitesse.

Mais revenons sur cette fameuse trouvaille contraventionnelle qui remonte à une quinzaine d’années et – est-il besoin de le préciser ? – ne s’applique qu’en France. A l’époque, sa légitimité était censée provenir des dégâts provoqués par les collisions en chaîne sur les autoroutes, qui représentaient 36% des accidents corporels et 27% des tués. La conclusion qui en fut tirée se voulait  limpide : dans plus d’un cas sur deux, l’insuffisance de la distance de sécurité était regardée comme la cause principale de ce type d’accident. Trop limpide sans doute pour refléter pleinement la réalité et ne pas apparaître simpliste. 

Au fond, il en va de la distance de sécurité comme de la vitesse au volant. Ce sont des paravents technocratiques bien commodes, et bien lucratifs, qui permettent d’occulter d’autres types de cause bien plus difficiles à combattre comme l’inattention voire l’incivilité. Toujours le même réflexe : si une voiture percute un arbre, il faut éradiquer le végétal ; si une voiture en percute une autre, il faut les éloigner l’une de l’autre. Et si l’on supprimait carrément les véhicules ? Je fais ici le pari que le pourcentage d’accidents diminuerait sacrément !

Oui, mais voilà : une politique de sécurité routière ne se fait pas à coups de fausses lapalissades. A cet égard, le cas de la « distance de sécurité » est significatif. Rappelons les dispositions de l’article R. 412-12 du Code de la route qui prévoient, lorsque les deux véhicules se suivent, le maintien par le second d’une « distance de sécurité suffisante » pour pouvoir éviter une collision en cas de ralentissement brusque ou d’arrêt subit du véhicule de tête. C’est quoi au juste une « distance de sécurité suffisante » ? Ce même article répond imperturbablement : celle parcourue par le véhicule pendant un délai d’au moins deux secondes …

C’est d’ailleurs là où l’affaire se complique car, à l’instar de toute autre matière du droit routier ou d’ailleurs du droit tout court, on ne saurait se satisfaire d’approximations ou d’appréciations subjectives, émaneraient-elles d’agents assermentés de la force publique. Il faut impérativement qu’existe une preuve tangible et vérifiable, sauf à entrer dans le domaine du n’importe quoi ou, plus précisément, de celui de la « tête du client ».

Or, on ne sache pas que nos braves policiers ou gendarmes, tout à leur traque du « délinquant routier », soient munis de chronomètres par leurs administrations respectives qui n’ont plus désormais le moindre sou vaillant. Comment font-ils alors pour vérifier l’infraction : ad nauseam, sur une impression fugace ? Ou alors en repérant un taxi, proie facile, ou un véhicule de luxe, symbole d’une arrogance derrière laquelle se dissimulerait déjà l’infraction ? On ne sait trop et tel est bien le problème. Et dire que l’administration avait cru faire simple en décidant que les distances minimum observables par les automobilistes ne s’exprimeraient plus en mètres mais en temps réel !

Du reste, afin d’éviter toute ambiguïté, les pouvoirs publics, dans leur fièvre réglementaire, avaient édicté par décret un tableau de correspondance entre la vitesse du véhicule et la distance de sécurité : 28 mètres pour 50 km/h, 50 mètres pour 90 km/h, etc. Dans le cas de notre contrevenant du périphérique, la vitesse étant limitée à 70 km/h, il conviendrait de tabler sur une distance minimale de l’ordre de 39 mètres. A qui va-t-on faire croire que les véhicules parisiens peuvent sensément s’en tenir à cette règle surréaliste ? Comment d’ailleurs ceux qui sont de bonne foi peuvent-ils concrètement l’apprécier ? Bien malin est le conducteur capable d’évaluer une distance d’une quarantaine de mètres entre son véhicule et celui qui le précède.

Tout est question de bon sens. Or, dans notre pays hyper-procédurier où certains estiment que tout est sujet à réglementation, interdiction et sanction, il fallait bien que l’on invente une nouvelle infraction qui ressemble à s’y méprendre à un piège vicieux. En cette matière, il ne devrait y avoir que deux types de comportement : le chauffard ou le fou furieux qui colle, par bravade, défi ou énervement quelconque, au parechoc du véhicule qui le précède et peut être facilement sanctionné pour conduite dangereuse caractérisée ; et le conducteur moyen qui circule tranquillement (70km/h maximum : est-ce là une vitesse démentielle ?) et, distance ou pas, il faut le laisser tranquille.

Décidément, dans son obsession répressive, notre administration ignore le simple bon sens. Il n’empêche que l’article 412-12 prévoit au passage une amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ainsi qu’un retrait de trois points du permis. De quoi rendre pécuniairement réelle une mesure proprement surréaliste.

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