lundi 2 mars 2015

La faute à « pas de chance » ?



Certains accidents sur la voie publique n'ont pas de responsable sur le plan juridique. On dit alors que "c'est la faute à pas de chance". Mais la chance a bon dos ...

Un conseil, amis automobilistes : s’il vous arrive, en circulant sur la voie publique, de rouler sur une ornière, crevasse ou nid de poule, et si cela occasionne des dommages à votre véhicule, mieux vaut vous entourer d’une batterie de témoins, de vous munir d’un appareil photographique performant (ou, à défaut, d’un smartphone de dernière génération) et d’avoir sous la main le numéro de téléphone d’un huissier de justice.

Le conseil n’est pas superflu, à considérer la triste mésaventure d’une jeune automobiliste bien sage, jamais verbalisée et encore détentrice de la totalité de ses points de permis. En cette soirée de décembre, sur le coup de 19 heures, elle eut l’infortune de rouler sur une de ces anomalies de la chaussée en suivant tranquillement un autre véhicule. Résultat : son pneumatique fut gravement endommagé et elle dut le faire réparer chez un vulcanisateur du quartier, situé à une centaine de mètres du lieu de l’accident.

La vitesse étant hors de cause - elle suivait un véhicule qui, lui-même, ne pouvait aller bien vite en cet endroit de centre-ville à une heure où le trafic est important – de même qu’une éventuelle inattention de sa part étant à exclure, notre automobiliste se retourna contre l’autorité municipale pour obtenir réparation du préjudice qu’elle avait subi, pour défaut d’entretien et à tout le moins pour défaut de signalisation d’une défectuosité sur la voie publique.

La réclamation gracieuse étant vouée à l’échec – rares sont les autorités publiques, qui joueront toujours sur le temps et sur la lassitude des plaignants, à reconnaître d’emblée leur responsabilité – le tribunal administratif fut saisi. Il le fut en 2011 et, comme de juste, l’affaire passa à l’audience en … 2014. 

Mais passons. Le dossier pouvait sembler limpide à n’importe qui : le préjudice était avéré, sur la foi d’une facture de réparation du pneumatique produite par la plaignante ; l’état du pneumatique, un instant bloqué par l’excavation fautive, était tout autant établi sur la foi d’une photo prise par l’IPhone de la plaignante, le nom de la rue figurant sur ladite photo ; le témoignage du propriétaire d’un bar jouxtant l’endroit de l’accident fut également joint au dossier ; sur ce, on apprendrait que, l’instabilité du revêtement de la chaussée étant chronique à cet endroit, celui-ci avait dû être refait trois mois auparavant l’incident survenu à notre automobiliste ; que, d’ailleurs, cet incident aurait dû être évité car l’affaissement de la chaussée avait commencé de se former plusieurs heures auparavant, à dire de témoin ; qu’au surplus, un autre automobiliste était resté bloqué dans cette même excavation au point qu’il avait fallu quérir une voiture de remorque pour dégager le véhicule sinistré ; qu’en tout état de cause, les autorités municipales s’étaient abstenues de signaler la présence d’une anomalie de la chaussée.

Ce dossier était limpide pour n’importe qui mais apparemment pas pour la justice. Malgré tous ces éléments qui, mis bout à bout, constituaient des faisceaux d’indices plus que probants, la juridiction administrative rejeta purement et simplement la plainte de notre automobiliste. Les motifs avancés furent d’ailleurs divers et variés, nos juges ayant – quel mauvais esprit prétendrait le contraire ? – une certaine imagination. Il fut ainsi allégué que les photos produites au dossier n’étaient pas nettes – même si l’on peut présumer que tout automobiliste n’est pas d’instinct, dans l’affolement de l’embouteillage ainsi créé par un accident, un photographe professionnel. Son témoignage produit ne fut pas retenu – vous pensez, le témoignage d’un bistrotier ! Pis encore, la défense classique développée par l’autorité municipale fut retenue dans son intégralité, à savoir le manque de causalité entre l’accident – encore heureux que notre automobiliste ne fût pas traitée de menteuse – et la responsabilité publique. 

Des mots vides de sens, un juridisme qui défie le bon sens commun. Que faire face à une telle mauvaise foi ? Faire appel et repartir pour deux ou trois années supplémentaires ? Sans doute pas. Dans l’absolu, il faut simplement être encore plus procédurier sinon plus vicieux que ceux qui sont responsables d’accident. Encore faut-il pouvoir s’entourer d’un luxe de précautions : ce qui prend du temps et coûte de l’argent, souvent davantage que celui qu’on peut espérer récupérer. Dans la plupart des cas, hélas, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Peut-être eut-il fallu, pour être crédible aux yeux de la justice que notre automobiliste ait été gravement accidentée. Evidemment, le must eut été qu’elle décédât ! Décidément, le mieux sera toujours l’ennemi du bien.

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