Certains accidents sur la voie publique n'ont pas de responsable sur le plan juridique. On dit alors que "c'est la faute à pas de chance". Mais la chance a bon dos ...
Un conseil, amis
automobilistes : s’il vous arrive, en circulant sur la voie publique, de
rouler sur une ornière, crevasse ou nid de poule, et si cela occasionne des
dommages à votre véhicule, mieux vaut vous entourer d’une batterie de témoins,
de vous munir d’un appareil photographique performant (ou, à défaut, d’un
smartphone de dernière génération) et d’avoir sous la main le numéro de
téléphone d’un huissier de justice.
Le conseil n’est pas
superflu, à considérer la triste mésaventure d’une jeune automobiliste bien
sage, jamais verbalisée et encore détentrice de la totalité de ses points de
permis. En cette soirée de décembre, sur le coup de 19 heures, elle eut
l’infortune de rouler sur une de ces anomalies de la chaussée en suivant
tranquillement un autre véhicule. Résultat : son pneumatique fut gravement
endommagé et elle dut le faire réparer chez un vulcanisateur du quartier, situé
à une centaine de mètres du lieu de l’accident.
La vitesse étant hors
de cause - elle suivait un véhicule qui, lui-même, ne pouvait aller bien vite
en cet endroit de centre-ville à une heure où le trafic est important – de même
qu’une éventuelle inattention de sa part étant à exclure, notre automobiliste
se retourna contre l’autorité municipale pour obtenir réparation du préjudice
qu’elle avait subi, pour défaut d’entretien et à tout le moins pour défaut de
signalisation d’une défectuosité sur la voie publique.
La réclamation
gracieuse étant vouée à l’échec – rares sont les autorités publiques, qui
joueront toujours sur le temps et sur la lassitude des plaignants, à reconnaître
d’emblée leur responsabilité – le tribunal administratif fut saisi. Il le fut
en 2011 et, comme de juste, l’affaire passa à l’audience en … 2014.
Mais passons. Le
dossier pouvait sembler limpide à n’importe qui : le préjudice était avéré,
sur la foi d’une facture de réparation du pneumatique produite par la
plaignante ; l’état du pneumatique, un instant bloqué par l’excavation
fautive, était tout autant établi sur la foi d’une photo prise par l’IPhone de
la plaignante, le nom de la rue figurant sur ladite photo ; le témoignage
du propriétaire d’un bar jouxtant l’endroit de l’accident fut également joint
au dossier ; sur ce, on apprendrait que, l’instabilité du revêtement de la
chaussée étant chronique à cet endroit, celui-ci avait dû être refait trois
mois auparavant l’incident survenu à notre automobiliste ; que,
d’ailleurs, cet incident aurait dû être évité car l’affaissement de la chaussée
avait commencé de se former plusieurs heures auparavant, à dire de
témoin ; qu’au surplus, un autre automobiliste était resté bloqué dans
cette même excavation au point qu’il avait fallu quérir une voiture de remorque
pour dégager le véhicule sinistré ; qu’en tout état de cause, les
autorités municipales s’étaient abstenues de signaler la présence d’une
anomalie de la chaussée.
Ce dossier était limpide
pour n’importe qui mais apparemment pas pour la justice. Malgré tous ces
éléments qui, mis bout à bout, constituaient des faisceaux d’indices plus que
probants, la juridiction administrative rejeta purement et simplement la
plainte de notre automobiliste. Les motifs avancés furent d’ailleurs divers et
variés, nos juges ayant – quel mauvais esprit prétendrait le contraire ? –
une certaine imagination. Il fut ainsi allégué que les photos produites au
dossier n’étaient pas nettes – même si l’on peut présumer que tout
automobiliste n’est pas d’instinct, dans l’affolement de l’embouteillage ainsi
créé par un accident, un photographe professionnel. Son témoignage produit ne
fut pas retenu – vous pensez, le témoignage d’un bistrotier ! Pis encore,
la défense classique développée par l’autorité municipale fut retenue dans son
intégralité, à savoir le manque de causalité entre l’accident – encore heureux
que notre automobiliste ne fût pas traitée de menteuse – et la responsabilité
publique.
Des mots vides de sens,
un juridisme qui défie le bon sens commun. Que faire face à une telle mauvaise
foi ? Faire appel et repartir pour deux ou trois années supplémentaires ?
Sans doute pas. Dans l’absolu, il faut simplement être encore plus procédurier sinon
plus vicieux que ceux qui sont responsables d’accident. Encore faut-il pouvoir
s’entourer d’un luxe de précautions : ce qui prend du temps et coûte de l’argent,
souvent davantage que celui qu’on peut espérer récupérer. Dans la plupart des
cas, hélas, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Peut-être eut-il fallu, pour
être crédible aux yeux de la justice que notre automobiliste ait été gravement
accidentée. Evidemment, le must eut
été qu’elle décédât ! Décidément, le mieux sera toujours l’ennemi du bien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire