mardi 26 février 2013

La rumeur de Beauvais


Scène de la vie quotidienne. Une scène banale qui doit sans doute se passer chaque jour, sinon plusieurs fois par jour, quelque part en France.

Là, cela se passe à Beauvais le jeudi 22 février à 10 heures, au quartier HLM de Saint-Jean. Des policiers municipaux demandent au conducteur d’un véhicule garé en stationnement gênant d’enlever son véhicule. Le conducteur refuse. Le ton monte rapidement et, avant que tout le quartier ne s’en mêle comme il advient de plus en plus souvent, les policiers procèdent à l’interpellation dudit conducteur récalcitrant. C’est là que l’affaire se complique.

Presque aussitôt en effet, et là encore cela devient un grand classique, un des policiers est accusé d’avoir brutalisé le conducteur. Les témoignages se multiplient comme par enchantement, les « preuves vidéo » de la brutalité policière émergent d’un portable. C’est bien connu, dans nos cités il y a toujours un portable prêt à mettre en cause des policiers. Les journalistes, eux, ne manquent pas d’évoquer immédiatement une interpellation musclée. La bavure n’est pas très loin. Il sera toujours temps de vérifier plus tard. Et la maire de Beauvais, qui n’est pourtant pas une socialiste, décide sur le champ de la suspension du policier tandis que l’interpellé – le héros, en somme – est relâché du commissariat où il se trouvait. Les élections ne sont pas loin.

L’affaire est significative à maints égards. D’abord, du point de vue de l’autorité municipale. Concevables en soi, les mesures conservatoires sont lourdes de conséquences dès lors que les faits ne sont pas avérés d’une manière irréfutable. Peu de temps après l’incident, la maire a précisé que « le policier n’a pas respecté les consignes de sécurité et de respect des personnes (…) que doit respecter quelqu’un qui porte l’uniforme ». Fort bien, mais alors dans ce cas, pourquoi se donner la peine de déclencher une enquête puisque la cause est déjà entendue ? Pourquoi ajouter à la confusion en déclarant que la suspension n’équivaut pas à une sanction ?

On comprend bien l’angoisse de certains élus municipaux face à des quartiers difficiles qu’il faut surveiller comme le lait sur le feu si l’on veut éviter des incidents pouvant vite dégénérer. Pourtant, ce qui est en jeu ici est rien moins que la présomption d’innocence des forces de l’ordre. Certaines pressions journalistiques ou encore l’effet de mode des vidéos individuelles contribuent grandement à saper l’autorité des forces de l’ordre. Parce qu’il est sans doute plus sympa d’aller du côté des « jeunes ». Mais raison de plus pour nos élus de garder la tête froide.

D’autant plus qu’est soulevé un autre aspect non moins intéressant : le respect de la loi. C’est peut-être vieillot et ennuyeux mais la loi existe pour tout le monde et n’est pas sujette, en principe, aux mouvements d’opinion. Il existe l’article 433-6 du Code pénal qui est sans ambiguïté : « Constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant, dans l’exercice de ses fonctions, pour l’exécution des lois, des ordres de l’autorité publique, des décisions ou mandats de justice. »

Qui ne voit que, dans certains endroits de notre pays – et pas seulement dans les « quartiers », d’ailleurs – l’autorité de la loi est systématiquement bafouée, l’ordre est tourné en dérision et ses représentants insultés ? Qui nous dit que, dans l’incident de Beauvais, le conducteur n’aurait pas refusé d’obtempérer aux policiers et commis un délit ? Il faut bien le rappeler : obtempérer aux forces de l’ordre est une obligation impérative et ne relève pas de l’appréciation personnelle de l’intéressé.

Aux termes de l’article 433-6, le délit est constitué s’il existe une « résistance violente ». Qu’est-ce qu’une résistance violente selon la jurisprudence de la Cour de Cassation ? « Tout acte de résistance active à l’intervention d’une personne dépositaire de l’autorité publique, même sans atteinte physique à l’encontre de cette personne » (Chambre criminelle – 7 novembre 2006 et 10 novembre 1998). En clair, cela signifie que se débattre au moment de l’interpellation – quel qu’en soit le motif – représente un délit. En revanche, celui-ci n’existe plus dès lors que le conducteur se contente de s’agripper à son volant et d’opposer une « résistance passive » ou une « force d’inertie ».

Dans le cas de Beauvais, le conducteur s’est-il contenté de s’agripper à son volant ou s’est-il débattu ? Des esprits malintentionnés imagineront aussitôt que poser la question équivaut à y répondre. Les autres penseront qu’il vaut mieux attendre les résultats de l’enquête. Ils penseront aussi, bien innocemment il est vrai, que le respect de la loi s’impose à tous : y compris à ceux qui ne portent pas l’uniforme et … à ceux qui possèdent un portable.

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