mardi 26 février 2013

Rêves de conducteur


La chaleur estivale s’y prête à merveille. Profitons de ces quelques moments de calme et de quiétude pour laisser notre esprit vagabonder et -  pourquoi pas ? – rêver d’un monde meilleur. Vaste programme, aurait commenté un personnage illustre.

Pour l’automobiliste, en tout cas, la perspective n’est pas si compliquée encore qu’elle ait toutes les chances de demeurer vaine et sans lendemain. Le rêve de routes sans radars, ni jumelles, ni laser, ni gadgets d’aucune sorte préfigurant ce monde déshumanisé d’opacité et de sanctions automatiques, sans la moindre indulgence ni recours, dans lequel nous sommes déjà entrés.

Oui, il s’agit bien d’un rêve auquel l’administration – qui ne rêve pas, elle – oppose trop mécaniquement l’impératif de sécurité ou encore le bilan encore bien trop élevé de la mortalité routière. Il est vrai qu’elle joue sur du velours. Qui osera donc contrarier cette noble espérance consistant à sauver des vies ou à empêcher que des destins ne se brisent brutalement ? Personne en vérité. L’ennui est que l’argument invoqué, fût-il repris en boucle, est inconsistant et que l’équation un peu trop commode : plus de radars = plus de vies sauvées, ne fonctionne pas malgré trucages de statistiques et répétition de raisonnements spécieux.

C’est un réflexe bien français de donner en permanence des leçons au monde entier, dans le domaine de la sécurité routière comme dans bien d’autres. Et pourtant ! Les Anglais sont-ils devenus brusquement stupides au point de supprimer désormais les radars qu’ils avaient installés sur leurs motorways ? Les Allemands ont-ils perdu la tête en s’abstenant de limiter la vitesse sur leurs Autobahnen ? Et tant d’autres pays encore qui ne partagent pas les fantasmes ou les obsessions de nos gouvernants sans en devenir pour autant laxistes ou inconscients. Il suffit d’établir un bilan, concret et vérifiable celui-là, pour s’apercevoir que le pourcentage de morts sur les voies rapides de ces pays n’est guère supérieur au nôtre.

Alors où est l’erreur ? Elle se situe comme souvent au niveau des mentalités. Notre esprit cartésien s’accommode depuis longtemps de solutions bureaucratiques aussi faciles qu’univoques. C’est la recherche permanente de ce modèle-miracle que nous nous empressons, à peine défini, d’exporter fièrement aux autres peuples moins éclairés qui ne peuvent que nous en être, comme de juste, éternellement reconnaissants…

Ce « modèle », dans le domaine routier, nos spécialistes sont persuadés de l’avoir découvert. A défaut, il s’agit assurément d’une martingale infaillible représentée par la combinaison permis à points – radars. Et ces experts en démordent d’autant moins que ladite martingale s’est avérée, depuis lors, merveilleusement rentable : environ 1,5 milliard d’euros aujourd’hui, sans doute le double à brève échéance avec la démultiplication des radars et l’augmentation substantielle des amendes de stationnement.

C’est cette logique qu’on tente de nous faire avaler aujourd’hui au nom d’une soi-disant sécurité. Qui, parmi nos responsables, aura la lucidité de reconnaître que l’essentiel de la diminution de la mortalité routière avait été obtenu bien avant l’implantation des radars ? Et que ceux-ci changent peut-être le paysage routier voire le comportement des conducteurs mais assez peu les bilans quantifiables. Qui aura l’honnêteté d’admettre que la fixation obsessionnelle sur la vitesse autoroutière répond moins à une logique de sécurité qu’à une logique purement financière ? Qui avouera que les radars, soi-disant destinés à sauver des vies, ne sont pas implantés dans leur énorme majorité sur des sites dangereux mais sur des sites où il est plus facile de faire du chiffre ? Qui enfin aura le courage de dire qu’une telle logique du tout-répressif a fait passer depuis longtemps par profits et pertes la platonique mais pourtant si nécessaire ambition « pédagogique » ?

Oui, il s’agit bien d’un rêve dès lors que le simple bon sens se heurte à la logique financière, à des impératifs électoralistes, à un politiquement correct imposé d’en haut voire à la raison d’être de certains hauts ou moins hauts fonctionnaires. Mais le rêve n’est-il pas  ce qui reste à l’automobiliste dès lors qu’il a épuisé toutes ses voies de recours ?

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