mardi 26 février 2013

L’automobiliste présumé coupable


Décidément, l’automobiliste n’est pas un citoyen comme les autres. Un des grands principes du droit, qu’on rappelle à l’envi parfois pour le bafouer allègrement, est que tout individu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été reconnu coupable.

Fondamental dans tout Etat de droit, ce principe est notamment posé par le célèbre article 121-1 du Code pénal selon lequel nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. Ce principe est également codifié dans le droit routier, sous la même numérotation d’ailleurs. Ainsi, l’article L. 121-1 du Code de la route dispose que « le conducteur d’un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule ». Cela signifie clairement qu’en cas de comportement fautif c’est le conducteur du véhicule qui est mis en cause et non pas son propriétaire.

Mais voilà, l’affaire se complique dans la mesure où tout principe comporte des exceptions. Ici, la règle admet des dérogations et non des moindres. Depuis 1972 est admise une dérogation au principe de la responsabilité personnelle du conducteur en matière de stationnement illicite. Aux termes de l’article 121-2 du Code de la route, c’est bien le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule, à savoir son propriétaire, qui est responsable pécuniairement de ce type d’infraction. La loi du 12 juin 2003 a d’ailleurs étendu cette dérogation aux infractions à la réglementation sur l’acquittement des péages.

Il y a pire encore. Cette même loi de juin 2003 établit la redevabilité pécuniaire du propriétaire d’un véhicule convaincu d’infraction à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées ou encore à celle sur les signalisations imposant l’arrêt des véhicules : en d’autres termes, les excès de vitesse et les feux tricolores. A titre accessoire, sont également visées par cette mesure législative codifiée sous l’article L. 121-3 du Code de la route les infractions afférentes au non respect des distances de sécurité entre véhicules ou encore au non respect de l’usage de voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules.

Dans tous ces cas d’espèce, le propriétaire d’un véhicule fautif est présumé « coupable » c’est-à-dire soit redevable pécuniairement soit responsable pénalement. En théorie, il pourra toujours échapper à la sanction à condition d’établir l’existence d’un vol ou de tout autre événement de force majeure ou encore d’apporter la preuve qu’il n’est pas l’auteur véritable de l’infraction.

Pourquoi de telles dérogations ? Essentiellement, bien sûr, pour simplifier le travail de l’administration et pour ne pas entraver son efficacité en matière de sanction. Certaines catégories d’infraction comme les excès de vitesse ont acquis un caractère de masse et l’administration ne pourrait les sanctionner comme elle le fait si elle devait, dans tous ces cas, apporter elle-même la preuve de l’identité de l’auteur de l’infraction. D’où le transfert de la charge de la preuve sur le contrevenant présumé. A lui d’apporter la preuve de son innocence.

Avec le contrôle sanction automatisé, c’est-à-dire les radars, le système est devenu encore plus pervers. Le caractère mécanique et opaque du système ainsi que son immédiateté dans la sanction fait que le présumé fautif a de moins en moins la possibilité réelle de défendre ses droits.

L’administration commettrait-elle une erreur et vous aviseriez-vous de le lui faire remarquer en toute bonne foi ? Il y a fort peu de chances que vous ne receviez jamais de réponse à vos demandes ou réclamations. On se fera fort d’enrober une telle carence inadmissible pour ce qui reste un service public dans une explication standard de laquelle transparaissent des effectifs administratifs insuffisants ou encore des soi-disant impératifs de sécurité routière.

Telle était la raison pour laquelle le législateur avait souhaité à l’origine introduire des garanties essentielles, comme le droit substantiel à l’information, pour que le contrevenant présumé puisse assurer sa défense. Malheureusement, au fil des années et au gré du comportement désinvolte de l’administration comme du caractère expéditif de certaines jurisprudences, le système est devenu déséquilibré. Non seulement l’automobiliste est présumé fautif mais, dans bien des situations, il ne se voit ouvrir aucune possibilité sérieuse de contrebattre cette présomption.

Il ne faut pas se le cacher, l’automobiliste est devenu un citoyen de seconde zone.

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