mardi 26 février 2013

Permis à points : la loterie des tribunaux


Il est des paradoxes qui laissent songeurs. Au vu des textes actuels, notamment ceux relevant des instances ordinales, l’avocat est tenu pour un « auxiliaire de justice ». Au-delà de son caractère plutôt dévalorisant, l’expression est censée signifier que l’avocat contribue, à sa place et selon ses moyens, à la manifestation de la justice. Elle revient néanmoins à enfoncer des portes ouvertes dans la mesure où l’avocat est déjà contraint, par sa déontologie propre, à aller dans ce sens. Sans pour autant, cela va de soi mais cela va encore mieux en le disant, léser en quoi que ce soit les intérêts de son client dont la défense reste l’objectif majeur.

Pour être encore plus clair, l’avocat n’est pas et ne saurait être, en aucune façon, l’auxiliaire du magistrat. Quant au magistrat, il lui appartient bien sûr de faire triompher la justice en toute impartialité et dans les fonctions spécifiques qui sont les siennes : siège ou parquet, magistrat rapporteur ou rapporteur public. Rappel d’évidence ? Voire.

Récemment, il a pu être entendu dans l’enceinte d’un tribunal administratif statuant sur un dossier de retrait de points de permis de conduire, et de la bouche du rapporteur public : « De toute façon, tout conducteur prenant le volant est conscient des risques qu’il encourt par rapport aux règles du code de la route ».

Il s’agissait de contrebattre l’affirmation de l’avocat suivant laquelle la procédure de retrait de points était illégale, faute pour l’administration d’avoir fourni au contrevenant, et au moment de la commission de l’infraction, les informations obligatoires tel que le prévoit notamment l’article L. 223-3 du code de la route.

On rappellera que le rôle du rapporteur public, au sein des juridictions administratives, est de dire le droit et non de défendre la société ou quelque politiquement correct comme peut le faire le procureur dans le cadre des juridictions pénales. En l’occurrence, ce rapporteur public a affecté de méconnaître l’article L. 223-3 qui a une portée substantielle et ne peut être sujet à quelque interprétation subjective. C’est, en effet, la garantie que le législateur a entendu donner aux automobilistes en contrepartie du système automatisé et opaque que forme le couple permis à points-contrôle sanction automatisé. Pire encore, dans ce cas le rapporteur public a cru devoir justifier implicitement le défaut de prise en compte de cet article du code par un a priori ou un lieu commun digne du café du commerce. Et la justice dans tout cela ? On se le demande.

Par bonheur, tous les rapporteurs publics des tribunaux administratifs ne se comportent pas ainsi et exercent leur fonction scrupuleusement et en toute impartialité. Pour autant, la conclusion qu’on en tire inévitablement est qu’en matière de permis à points, pour le moins, nos tribunaux deviennent une véritable loterie. A dossier quasiment identique, vous aurez davantage de chances dans le tribunal X plutôt que dans le tribunal Y. Cela ressort tout particulièrement du sort réservé aux requêtes en référé suspension.

Bien sûr, telle disparité n’est pas normale mais il est d’ores et déjà loisible de dresser la carte des tribunaux français. Entre ceux qui défendent à tout crin l’administration quels que soient ses errements éventuels et ceux qui font preuve de davantage d’équilibre ou de bon sens ou encore – pourquoi cacher le mot – de simple impartialité.

Une homogénéisation rigoureuse des jurisprudences devient ainsi plus que jamais indispensable entre les tribunaux et même, parfois, au sein d’un même tribunal. Sans quoi l’automobiliste, déjà conscient d’être une vache à lait de la part de l’Etat, aura en plus la fâcheuse impression d’être le dindon de la farce.

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