mardi 26 février 2013

Les vérités d’une statistique


On les attend désormais comme le calendrier Pirelli ou comme le lauréat du Ballon d’Or : les fameuses statistiques du ministère de l’intérieur sur les retraits de points du permis de conduire, bien sûr. Eh bien, c’est fait et il s’avère que 2011 a été une « bonne année » avec plus de douze millions de points retirés sur un panel (théorique) de 36 millions d’automobilistes.

Une « bonne année » pour les pouvoirs publics, cela va de soi. Les statistiques eussent d’ailleurs été plus complètes – et, accessoirement, plus honnêtes – si elles avaient eu soin de préciser à combien de recettes supplémentaires cela correspondait pour l’Etat. Il est vrai que les gardiens du temple n’auraient pas manqué de rétorquer que ce n’est pas le sujet et que seule compte la sécurité routière …

Bien qu’étant usé jusqu’à la corde, ce refrain sécuritaire continue de servir. Mais ces statistiques, que disent-elles au juste et, surtout, que ne disent-elles pas ? D’abord, elles confirment ce que chacun sait déjà empiriquement : que 8 retraits de points sur dix sont causés par des excès de vitesse. On aurait aimé savoir quelle était la proportion des excès de vitesse inférieurs à 20 km/h au-dessus de la vitesse autorisée, ceux justiciables d’un retrait de 1 point. On aurait eu sans doute de grosses surprises ainsi qu’une constatation : les retraits de points pour excès de vitesse ne concernent pas tant les véritables « chauffards » qui sont à l’évidence des dangers publics mais les automobilistes « normaux », pour reprendre un adjectif dans l’air du temps, qui empruntent leur véhicule quotidiennement et font du 55 km/h au lieu du 50. Ces gens-là sont-ils des dangers pour autrui ? La question reste posée.

Certains bons esprits répliqueront qu’il y a des automobilistes qui ne perdent jamais de points. Certes, ils existent mais ils correspondent généralement à cette catégorie de conducteurs qui ne prennent leur véhicule qu’occasionnellement (week-ends, vacances, etc) ou sont trop âgés pour conduire régulièrement.

Quoiqu’il en soit, la statistique fournira sans nul doute un alibi supplémentaire – au nom de la sécurité routière et des bons sentiments, cela va sans dire – pour démultiplier les radars routiers. Et ce, alors même que ces radars ont toujours été inexistants en Allemagne tandis qu’ils ont fini par être retirés en Angleterre. Il est vrai que les Français vivent dans un Etat qui dont la tentation permanente est de faire le bonheur des gens malgré eux.

Alors qu’il est très rentable de se focaliser sur la vitesse prétendument excessive, les pouvoirs publics restent d’une discrétion pudique sur des catégories d’infractions non moins dangereuses qui dénotent un incivisme caractérisé : ainsi les refus de priorité ne représentent que 8% des infractions (même si elles ont augmenté de plus de 85% par rapport à 2011). Et pourtant ! Qui ne voit, dans le quotidien de l’automobiliste, que ce type d’infraction devient un véritable fléau autrement plus significatif qu’un dépassement de vitesse dérisoire constaté par radar !

Mais on atteint des sommets de ridicule dans les statistiques relatives aux infractions causées par la consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants. A qui fera-t-on croire sans rire que ces infractions ne représentent que moins de 2,50% du total pour l’alcool et 0,17% pour les stupéfiants ? Mais il est vrai que la lutte contre l’alcoolémie doit composer avec le puissant lobby des producteurs et, au-delà, avec la balance commerciale du pays Quant aux stupéfiants, ce n’est pas au moment où le gouvernement, à commencer par le ministre d’une éducation en pleine « refondation », tente d’en légaliser la consommation que la statistique routière va se mettre à jouer les trouble-fête.

Tout va donc très bien pour l’Etat et il est à parier qu’en 2013, la statistique sur cette année en voie d’achèvement, reflètera une physionomie identique : la vitesse, encore et toujours. Confits dans une culpabilité qu’on s’efforce de leur asséner au quotidien, les automobilistes apprécieront en silence. Et paieront de plus en plus cher.

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